Paris, tiens bon !
On se dit qu’il n’y a rien de plus à dire, qu’il y a déjà trop de mots et d’images, les pires et – heureusement – des élans réconfortants, alors pourquoi en rajouter. Mais il est difficile de ne pas réagir quand on est tout proche du ballet inhabituel des hélicoptères, de ne pas réagir quand les photos de disparus circulent sur les téléphones et c’est des visages qu’on a l’impression de croiser tous les jours dans la rue, quand nombreux sont les gens autour de soi qui ont un proche ami qui habite à deux cent mètre de là, une cousine qui a vécu le truc dans un café d’à côté ou une amie qui était en panique dans Paris qui n’arrivait pas à rentrer chez elle. Comment ne pas allumer la télé et rester scotché sur les tvnews en direct qui tournent en creux et pour ne rien dire, et ne pas avoir envie de dire quelque chose ?
Sortir. Respirer. Déglutir.
Passer. S’arrêter un instant.
Paris, j’ai mal à mon bistrot.
Puis devant le Bataclan s’en griller une, les lèvres pincées et regarder les cendres s’envoler en pensant à celles des victimes de tout ce merdier qui seront dispersées par leurs proches dans la peine dans les jours qui suivent. Que faire d’autre ?
Et je pense à Bamako et à ce lendemain d’attentat à La Terrasse, et je pense à Casa et aussi à l’Argana de Jemaâ ElFna à Marrakech, les pays de mon cœur, et puis Paris.
Il y a tous ces mecs journalistes en boucle et en direct 24/7, qui parlent russe, américain et chinois dans leurs caméras, et on voudrait que leurs camions à antennes rentrent vite vite chez eux, qu’il n’y ait plus rien à dire à Paris, en tout cas sur le sujet.
Toi le journaliste australien qui me demande sur le trottoir du boulevard Voltaire si « I speak English », je te réponds que « yes », mais que je n’habite pas là, que je n’ai assisté à rien et que je n’ai pas perdu de proche, du coup tu me tourne le dos pour chercher un meilleur candidat.
Et à la question qui est sur toute les lèvres, à la question « Putain, tout ça pour quoi ? » ce qui vient d’abord c’est un désespérant « pour rien ». Et puis c’est trop con. Ça peut pas être pour rien. Alors ce sera au moins pour ces millions de lumières et de fumées d’encens, qui s’élèveront vers le ciel en même temps que toutes les vies volées par la violence à travers le monde en ce moment.
Avant que la vie d’avant ne reprenne inexorablement, que les bateaux pneumatiques ne crachent encore leurs lots de réfugiés sur les plages, que les décomptes macabres et lointains ressurgissent, que les avions rugissants crachent de nouveau leurs bombes contre un truc dont on ne comprend plus rien, un ennemi mystérieux au nom de paquet de lessive. Avant ça, souhaitons que les rues, les églises, les mosquées et les synagogues se remplissent. Qu’elles se remplissent de gens et de bougies les rues, les mosquées, les églises, les temples, les synagogues, et aussi les cafés, les salles de concert et les stades de foot, ici et partout où c’est possible.
Et on se réjouira de ces élans de fraternité spontanée, ici, des gens qui se parlent, de ceux qui sourient dans le métro à ceux qu’ils écrasaient encore hier, de ces moments un peu suspendus de moins d’indifférence généralisée. Il y a ceux qui regretteront que cela ne dure que quelques jours avant que tout ça ne soit oublié et que l’indifférence et les soucis du quotidien regagnent les esprits, sans doute, mais prenons ce qu’il y a à prendre et puis ce ne sera pas tout à fait pour rien.
Et si ça permet aussi de changer notre regard sur ces endroits du monde, où les images et les bruits du Paris d’hier font partie de la vie quotidienne, alors ce ne sera pas tout à fait pour rien non plus. Changer notre regard sur ceux qui n’ont plus de voix à force de crier au Ciel. Et Dieu sait s’il y en a des conflits ignorés, des camps de réfugiés oubliés, des bombes qui explosent dans la quasi indifférence, c’est pas la merde qui manque. Alors que la merde qui frappe ici nous secoue, la merde qui sort de l’homme est la même, la merde ne connaît ni couleur de peau, ni nationalité, ni âge, ni tendance sexuelle, religion ou bord politique, la merde c’est de la merde, c’est tout.
Mettez un drapeau partout si vous trouvez ça joli, important, symbolique ou quoi ou qu’est-ce, faites-vous tailler un slip bleu-blanc-rouge et envoyez-moi une taille XXL plize, mais avant tout regardons notre voisin d’immeuble, de bistrot, de métro ou de mer méditerranée avec un autre regard.
Oui, remplissons les églises, les mosquées, les temples et les synagogues. Remplissons les rues, les cafés, les cinoches, les salles de concert et les stades de foot. Allumons des bougies et des bâtons d’encens, marchons, la tête nue ou couverte de ce qui nous chante, mais marchons, dans les rues de Paris et de toutes les villes du monde où l’on peut encore le faire. N’en déplaise aux consigneurs de tous bords, continuons à en griller une aux terrasses du 10e arrondissement devant un café, un calva ou un thé à la menthe, ou les trois même. Et levons notre majeur bien haut à ces malades de tous bords, ceux qui parlent à la kalachnikov et ceux qui parlent avec des discours de mépris et d’ignorance. Leur arme, en définitive c’est la même, c’est la peur.
Laissons dire « Je crois en Dieu » et « Allahou akbar » aux croyants si ça leur fait du bien et tant que ça reste dans les églises, les mosquées, les chapelles ou sur les tapis à la maison. Qu’ils invoquent Ganesh et Bouddha. Laissons les mosquées, les églises et les temples se remplir de ceux qui veulent y prier, et remplissons les cafés, les salles de concert, les cinoches et les stades de foot. Levons le coude ensemble, moi je mettrai du Calva dans mon Thé à la Menthe ce soir, et yer’mat, b’saha, ini’tié !
Si on tombe ce sera d’ivresse et pour vomir sur ceux qui propagent des messages de guerre quand on attend des messages de paix. Il y a aussi une terreur par les esprits, celle du mépris et de la violence, celle du replis et du rejet, la peur de l’autre, du différent, du noir, de l’homo, du juif, de l’arabe, du rom, du nanard du coin.
Et c’est parti pour le plat unique, la bouillie amalgamée, où il est question d’identité, de religion, et même de nationalité. Mais pourquoi faudrait-il choisir entre sa religion et un pays. Et si je veux être de deux pays et deux religions ?
Doit-on être musulman si on nait marocain ? Doit-on justifier à chaque instant son amour de la France si on est français de confession musulmane ? C’est facile dira-t-on de renvoyer les uns et les autres dos à dos. Mais c’est face à face qu’on les voudrait. Au bistrot ou sur un terrain de foot. La nationalité c’est une histoire de cœur, pas de couleur de passeport.
Pourquoi la communauté musulmane devrait-elle manifester plus ostensiblement sa compassion que l’archevêque de Canterburry ? Pourquoi chacun ne réagirait-il pas simplement en être humain, avec son cœur ? Qui est encore assez con au 21e siècle pour faire ce genre de mélange ?
Et pourtant. Entendu cet après-midi rue de Charonne devant les bougies allumées, cette petite fille demander à sa maman : « dis maman pourquoi les musulmans ils ont fait ça ? » La maman : « parce que les musulmans ils sont pas d’accord avec nous. »
Triste et grave. Et je l’ai pas inventé.
On se demande ce qu’on peut faire, quand on n’est qu’un tout petit dans ce grand monde.
On peut changer son regard. Les armes on en a tous au moins une, les mots, les dessins, les images, et surtout le regard sur son voisin et les lumières qu’on allume. Elles sont puissantes. Remplissons les églises, les mosquées, les temples et les synagogues, allumons des bougies, remplissons les rues, les cafés, les salles de concert et les stades, et regardons nos voisins dans ces lieux, ils sont nanards, arabes, noirs, blancs, rouquins, blondinets à particules, patagoniens, que sais-je…
Ces mecs étaient probablement de tout jeunes français, qu’on aurait voulu en train d’écouter de la musique plutôt que de se faire exploser. Aux uns qui envoient au hasard les innocents au paradis à coups d’aveugles chargeurs à répétition et aux autres qui rêvent de voir des milliers de policiers quadriller nos rue et déchoir de leur nationalité ceux ou celles qui auraient la tête trop ou mal couverte, je vous la mets profonde. On dira c’est pas pareil, certes, mais les ressorts sont les même, alors je persiste, la seule différence puisqu’il faut en faire une tout de même, sera la profondeur.
Vous m’emmerdez tous à transformer la ville lumière en désert sans fin, vous m’emmerdez à me faire sursauter à la moindre sirène, à me faire fouiller aux entrées des librairies par des vigiles mal embouchés. Même pas peur, j’irai prendre des café-calva-thé-à-la-menthe aux terrasses de Paris. J’ai pas envie de voir un samedi après-midi, ces passants au visage fermé, le regard vers le sol, qui filent droit devant eux d’un pas pressé. Paris le samedi c’est fait pour flâner, sourire et s’embrasser. Je veux voir des filles d’humeur légère sortir victorieuses des magasins de fringues et pas toutes ces boutiques tristes aux rideaux de fer descendus. Je veux réentendre les éclats de voix sortir des cafés, pas cette espèce de pesanteur grave et cet unique sujet de discussion sur toutes les lèvres. On ne veut pas de cinoches fermés, pas de musées fermés, pas de spectacles annulés, no pasarán, même pas peur, on veut rester debout, au comptoir, et parler d’autre chose.
Paris, tiens bon.
Peace, love et rock’n’roll. Bordel.
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