Rue de la Grande Truanderie
Dans la rue de la Grande Truanderie, le soir sur les pavés à peine éclairés, tout s’agite, tout prend vie.
Au numéro un de la rue, tout en haut, on entend, le Père-Noël, ce grand brigand, qui se poile encore dans sa longue barbe, de sa bonne farce aux petits enfants, et fume sans cesse en rigolant, une pipe à eau bourrée de carbe.
Au rez-de-chaussée qui fait concierge, il y a la naissance vagabonde, celle qui arrive un peu par miracle, un peu par hasard, et qui fait tourner son monde.
Juste au-dessus, toujours à brailler, loge le lait du sein maternel, bel empafé; lui finit toujours par te larguer, et t’envoyer vite fait par le fond de la culotte, chez son vieux pote petits-pois-carottes.
En face au numéro deux, c’est une maison habitée par trois frères. Aussi escroc, crapule et malfrat l’un que l’autre: mange ta soupe, l’âge de raison, deviens adulte, se battent comme des macaques pour savoir qui est la plus grosse arnaque.
Attablée dans le salon de thé, il y a, dans sa robe de soirée, élégante et charmeuse, l’amour fripouille et aguicheuse, qui va et qui vient, un jour peut-être ou peut-être pas, parfois qui reste et parfois qui s’en va, imprévisible, passagère et volage.
Plus loin près du petit square, panthères et cabrioleuses du grand soir trainent leur savates, pour des caves se prenant pour galants sans cravates, qui rêvent de mettre grand Turc en Constantinople, mais, tellement fauchés, ils pourront tout au plus se faire dépoussiérer le scoubidou en vitesse derrière une porte cochère.
Il y a, affairé derrière son camion mal garé, un vaurien sans état d’âme, travailler plus pour gagner plus, qui toujours en grand trafic, flanqué de sa trainée, la politique, et de ses complice les impôts, rançonne sans fin les pauvres idiots.
Sur le devant de sa boutique, toujours en grande discussion, la cinquième république, sacrée larronne, avec toutes les précédentes ses clientes, qui déblatèrent, sans savoir que faire de leur pauvresse, clocharde et mendiante de filles liberté, égalité, fraternité.
Dans l’arrière-boutique d’un tripot, il y a Dieu et Allah, qui jouent aux cartes en trichant. Pendant ce temps, la vie éternelle amen se repoudre le nez dans les vécés, et puis la mort, cette cagole, qui se fout de tout et passe devant en ricanant.
Dans la rue de la Grande Truanderie, le soir sur les pavés à peine éclairés, tout s’agite et tout prend vie.