Je vous applaudis (ou pas)
Le soir à 20h j’applaudis, moi aussi. Je me suis trouvé un peu con, au début, seul à ma fenêtre, à taper dans mes mains, dans le vide de la ville confinée. Je me suis dit que ça devait bien faire marrer les gros pigeons gris, tout surpris d’être soudainement dérangés dans leurs roucoulements énamourés. J’applaudis à la nature qui partout reprend ses droits. Ces oiseaux qu’on entend chanter maintenant que le bruit des hommes s’est tu. J’ai crié aussi. Woooohouuuuu ! Très fort. Pour appeler les autres à leur balcon, pour rameuter la populace, et pour aussi me libérer d’une longue journée enfermé.
Deuxième soir, troisième soir, peu à peu, je ne suis plus seul sur le petit balcon de mon deux-pièces-cuisine de banlieue. A 20h, les fenêtres s’ouvrent, et une belle clameur s’élève, clap clap et des mercis jetés au vent. C’est bête, mais c’est réconfortant. De savoir qu’on est capable de trouver ce moment ensemble, pour faire jaillir notre part commune d’humanité.
J’applaudis, fort, fort les soignants. Tous.
J’applaudis, fort, fort, les soignants. Tous. Médecins, grands pontes et chirurgiens, mais aussi, et surtout, les petits, les infirmiers, infirmières, brancardiers. Les cuistots, les gardiens, les secrétaires des hôpitaux. Les ambulanciers, pompiers et mécanos. Ceux qui accueillent, qui soignent, qui soutiennent. Ces femmes et ces hommes dans les maisons de vieux. Qui ne se posent même pas la question d’aller bosser ou pas. Corona pas corona, ce boulot-là on le fait et sans blabla. Je vous applaudis, vous qui hurlez depuis des mois à l’abandon de l’hôpital, vous qui grevez, pétitionnez, râlez, mais qui m’avez toujours accueilli avec sourire, réconfort et compétence, quand parfois je débarque avec un enfant aux urgences, l’oreille sanglante ou le bras cassé. La grève pour vous c’est une banderole, un brassard, et puis au turbin, quoiqu’il arrive, la santé ça ne rigole pas. Je me souviens. Du gaz hilarant et des fous rires avec vous, de voir ma petite fille, pétée, raconter n’importe quoi. Du plâtre 30 minutes chrono, mieux que Domino’s, prise en charge, diagnostic, radio, soins, montre en main, et retour casa pour mon bambin. Des jours d’angoisse, de vos mots rassurants, en attendant que mon tout petit bébé, complétement branché, veuille bien se réveiller. Je vous applaudis à tout rompre. Respect, admiration.
J’applaudis, et je sais que ça vous fait du bien, mais que ce n’est pas d’applaudissements dont vous avez besoin.
J’applaudis, et je sais que ça vous fait du bien, mais que ce n’est pas d’applaudissements dont vous avez besoin. De matériel, oui. De moyens, oui. Plus de tests. En masse. Des masques, en masse. De considération surtout. Une paye décente. Mettre un terme à la fermeture des lieux, aux réductions de personnel, aux désorganisations successives. Pour là, maintenant, tout de suite. Mais pour après surtout. Il aura fallu tout ça pour s’en rendre compte. Que ce système, construit peu à peu, où l’on accueille tout le monde, peu importe son origine, son rang, sa couleur de peau; où l’on soigne d’abord et où l’on voit après; que ce système est le bon, qu’il faut le préserver, coûte que coûte. Pour l’instant, j’applaudis. Et ça nous fait du bien, aussi, à nous. C’est idiot, ça vous agace même peut-être parfois, mais on a l’impression de faire un truc, même minuscule, d’être un tout petit peu actifs, reconnaissants, avec vous. J’applaudis, je tape sur ma casserole, et je ne fais rien d’autre, puisque vous nous dites de ne rien faire d’autre que de rester chez nous, patiemment. Je vous écoute, vous. Je vous crois, vous. J’applaudis, et je serai à vos côtés à l’heure des choix, des manifs, des élections. Je vous applaudis, vous, mais je sais qui je n’applaudis pas.
Ceux que nous n’applaudissons pas, tremblez. Nous respectons les consignes, toutes, et nous continuerons à le faire. Nous restons chez nous, et gueulons à tout le monde de le faire. Vous vous réjouissez, presque, de ce mouvement d’union nationale, de cette communion républicaine, de ce nouveau rituel du 20h, qui remplace les fades jités qui tournent en boucle sur vos sinistres visages serrés, et vos décomptes macabres. Vous ne devriez pas. Car on ne vous applaudit pas. C’est mal connaître le peuple de France, que de croire qu’il vous crédite de ça.
En revanche, vous autres, je vous applaudis aussi. Toi qui chaque matin passe dans ma rue ramasser mes ordures. Toi qui me sers au supermarché. Toi, et toi, et toi. Vous tous que je ne vois pas, qui faites le pain, conduisez les camions, approvisionnez les rayons. Bachir, mon épicier, toujours ouvert, toujours souriant : « salam, la bess, hamdullah ! ». Et même toi, avec ta gueule de travers et ton faux sourire de guingois, quand tu jettes les paquets de clopes de l’autre côté du comptoir de ton bar-tabac qui fait l’angle, un peu cracra. Je vous applaudis les invisibles, les oubliés, les sans-grade, ceux qui bossent toute la journée. Je vous applaudis les invisibles, les oubliés, les sans-grade, ceux qui bossent toute la journée. Parce que pas le choix, on a besoin de vous. Parce que pas le choix, s’occuper des vieux, des handicapés, des malades, des adolescents dans les foyers, ça marche pas par Skype. Parce que pour garder les enfants de ceux qui vont trimer, Zoom, Houseparty et les boucles WhatsApp, ça sert à rien.
Je vous applaudis les ouvriers, les techniciens, les conducteurs de transports en commun. Même les livreurs Deliveroo, contre qui je râle quand ils font n’importe quoi sur leurs mobylettes; pour vous pas de travail, pas d’argent, les indemnités ça n’existe pas. Je vous applaudis, vous qui allez travailler, pas le choix, l’usine est pas fermée. Les chefs sont au téléphone, dans leurs maisons à la campagne, à s’agiter, faire des plans, des cellules de crise, prévoir l’après. Vous êtes sur la machine, à turbiner. Avant, après, pour vous ça change quoi ? Je vous applaudis.
Je t’applaudis, Mohamed, petit pizzaïolo de mon quartier. Je t’applaudis, toi agriculteur que je ne connais pas, toi qui besogne, même le dimanche, sur ton tracteur, pour que mon pizzaïolo puisse faire, chaque jour, sa pâte à pizza. Les autres, les bullshit jobs, je ne vous applaudis pas. Je ne vous en veux pas, non plus. C’est pas simple, mais je ne vous applaudis pas, et je ne m’applaudis pas non plus. Parce qu’on pense qu’on va s’en tirer, juste comme ça, en disant merci, bravo, clap-clap sur le balcon ? Tremblez, vous aussi, tremblons, nous tous. Quelle sera la révolte de ceux qu’on applaudit aujourd’hui ? Parce qu’on pense qu’on va s’en tirer, juste comme ça, en disant merci, bravo, clap-clap sur le balcon ?
Tremblons, nous tous, télétravailleurs de l’ombre, on ne nous applaudit pas.
Tremblons, nous tous, télétravailleurs de l’ombre. Ceux qui pensent faire tourner le monde, les doigts sur l’ordi, l’oreille dans le téléphone, le cul sur le canapé. On ne nous applaudit pas. On applaudit les techos, qui vont dans les centres techniques pour fabriquer l’électricité, l’Internet et l’eau qui coule du robinet. On applaudit les employés qui vont dans des bureaux sans fenêtre chaque matin, en bus, au bout de la ligne cent-vingt, pour remplir des papiers et trier des PV. Mais nous, on ne nous applaudit pas, et c’est bien comme ça.
Et je suis triste, pour ma grand-mère qui se meurt seule dans son ehpad angevin, pour mon grand-père, seul, qui s’énerve dans son coin. De la voir partir avant lui. De ne pas pouvoir être là. Il pleure semble-t-il. Il pleure, lui, toujours fier et droit, et moi je pleure avec lui, de voir les jours passer et de ne pas pouvoir honorer notre promesse de l’emmener au bistrot se dérider. J’avais préparé mes blagues, Papy fait de la résistance, tout ça, mais je n’ai plus le cœur à rire. Alors j’applaudis, le soir, à 20h, ceux qui s’occupent de vous deux, grand-père, grand-mère, chaque jour, parce que c’est leur travail et qu’ils le font bien.
On ne vous applaudit pas, les puissants. Vos cours de bourse ne vous sauveront de rien.
Mais on ne vous applaudit pas, les puissants. On vous en veut. Comment comprendre la pluie de millions au lendemain de Notre-Dame, et votre silence affligé d’aujourd’hui ? Comment faudrait-il que nous réagissions aux lamentations sur les cours de bourse qui dégringolent et votre inquiétude de taux de croissance ? A vos poussées Medefisantes, réclamant, déjà, d’abolir le droit du travail, à peine les mesures de confinement prononcées ? Quelle insulte à ceux qui travaillent ! Pendant que vous conf-callez dans vos duplex parisiens. Quelle insulte à toutes ces PME qui ont fermé, mettant au chômage leurs employés, pensant naïvement qu’ils allaient être indemnisés. Ça rétropédale déjà, ça cafouille, l’union nationale a du plomb dans l’aile, dès lors qu’il s’agit de budget. Vos cours de bourse ne vous sauveront de rien, vous crèverez, intubés, comme le pauvre plombier ou le postier du lit d’à côté. On ne vous le souhaite même pas, en fait. Mais on ne vous applaudit pas.
Et vous autres, les députés, et tous les hauts-perchés. Il aura donc fallu ça, ce petit virus microscopique, pour remettre sine die vos réformes bancales, privatisations effrénées et petits arrangements en loucedé ? Le cri du peuple, vous l’ignorez, mais le virus, vous le craignez. Le cri du peuple, vous l’ignorez, mais le virus, vous le craignez. Vous avez raison. On ne vous applaudit pas, et on vous regarde, attentifs, manœuvrer. On se tait. On est confinés. On va suivre docilement les consignes que vous nous donnez. Mais on vous regarde, tremblez, on a le temps. Et notre esprit reste bien ouvert, lui, derrière nos portes fermées.
Cher Président, soyez rassuré, on va rester confinés. Pas pour vous, mais pour ceux qu’on applaudit. Mais tremblez, vous savez pourquoi.
Cher Président, vous nous avez dit solennellement, l’autre soir à la télé : « Donnez des nouvelles, prenez des nouvelles. Lisez, retrouvez aussi ce sens de l’essentiel. » Nous suivons vos conseils. Nous lisons, nous échangeons, nous nous parlons. Littérature, cinéma, cuisine ou bien que sais-je, bien sûr. Mais pas seulement. Nous suivons l’actualité, nous lisons, plus que jamais, des articles, publications et papiers. Ceux des journalistes, mais ceux des scientifiques surtout, ceux des médecins. Nous écoutons pleurer nos infirmiers et infirmières de dépit ou de colère. Pas certain que cela vienne illustrer votre affirmation d’une « parole claire », et d’une « information transparente ». Alors, pardonnez-nous, ne nous en voulez pas, mais on ne vous applaudit pas. Nous vous avons élu, nous, gaulois râleurs et réfractaires, mais on se demande au fond si vous nous aimez vraiment, avec sincérité, ou si ce que vous aimez surtout, c’est diriger. Nous vous avons élu, alors nous vous écoutons, attentivement. Soyez rassuré, on va rester confinés. Pas pour vous, mais pour ceux qu’on applaudit. Mais tremblez, vous savez pourquoi.
Vous avez dit, cher Président: «La Nation soutiendra ses enfants qui, personnels soignants en ville, à l’hôpital, se trouvent en première ligne dans un combat qui va leur demander énergie, détermination, solidarité. Ils ont des droits sur nous ». Vous aimez à le rappeler, les mots ont un sens. On aimerait tant vous croire, Monsieur le Président. Mais comprenez-vous combien c’est difficile d’entendre ces paroles, quand les actes de votre gouvernement, sous votre impulsion, et ceux de vos prédécesseurs, ont démontré tout l’inverse depuis toutes ces années ? Tremblez, car ces mots ont été prononcés, écrits, lus, et entendus, et qu’il faudra tenir promesse.
Vous avez encore déclaré encore, je vous cite, Monsieur: « Je vous demande des sacrifices pour ralentir l’épidémie. Jamais ils ne doivent mettre en cause l’aide aux plus fragiles, la pérennité d’une entreprise, les moyens de subsistance des salariés comme des indépendants. Pour les plus précaires, pour les plus démunis, pour les personnes isolées, nous ferons en sorte, avec les grandes associations, avec aussi les collectivités locales et leurs services, qu’ils puissent être nourris, protégés, que les services que nous leur devons soient assurés. Pour la vie économique, pour ce qui concerne la France, aucune entreprise, quelle que soit sa taille, ne sera livrée au risque de faillite. Aucune Française, aucun Français, ne sera laissé sans ressources ». Vous avez dit, pour tous ceux-là, les plus fragiles, les plus démunis, les plus précaires, avec force et conviction, « l’État payera ». Nous avons retenu notre souffle. Nous voulons y croire, à votre sincérité. Mais comprenez-vous combien c’est difficile, tant vos paroles et vos actes passés vous contredisent ? Le système social qui coûte « un pognon de dingue », la remise en cause radicale d’un système de retraite parmi les plus justes et performant au monde, contestée jusque dans vos rangs, l’absence « d’argent magique » pour nos soignants depuis tout ce temps ? Les inégalités qui repartent à la hausse, les réfugiés que l’on refoule, la pauvreté qui ne recule plus. Personne ne dit que c’est facile. Personne ne dit qu’il a la solution magique. Mais enfin, alors pourquoi ces déclarations, ces élans, pourquoi dire d’un ton péremptoire qu’il n’y aura « plus personne dans la rue avant la fin de l’année » en parlant des sans-abris, et ça fait trois ans depuis, qu’on les compte chaque année, et ça fait trois ans depuis, qu’ils n’ont point diminué. Alors, nous sommes confinés, mais attentifs. On sait que ça va prendre quelques jours, quelques semaines, c’est normal. Mais c’est le seul répit qu’on vous accordera. Et croyez-nous, on vous applaudira, à tout rompre, et même on vous réélira, si tout ce que vous dites se réalise. En attendant, on n’applaudit pas. On attend, seulement.
On va voir, si tous ceux, intermittents et travailleurs au chapeau, qui participent chaque jour à faire vivre une des plus belles richesses culturelles au monde, ne seront pas laissés de côté. On va voir, si tous ceux qui voudraient bosser et qui ne le peuvent pas seront soutenus. On verra si ceux qui ont traversé la rue et ont trouvé du travail, et ceux, bien plus nombreux encore, qui n’en ont pas trouvé, seront soutenus. L’État payera ? On va attendre de voir. Les trémolos, les belles paroles et les envolées lyriques, ceux-là n’y croient plus. Parce que déjà pointent leur nez, les atermoiements et les « efforts demandés ». Tremblez les lyriques de la politique, on ne vous applaudit pas, on vous observe et on attend de voir. Et la révolte populaire sera à la hauteur de la déception.
On vous applaudit, les profs et les livreurs. On vous applaudit aussi les engagés associatifs.
On vous applaudit, policiers, gardiens de la paix, qui allez simplement faire votre métier, mais on ne vous applaudit pas vous les flics, qui refoulez ceux qui font la file pour manger, en disant qu’en ce moment, « nombreux sont ceux se prétendent SDF pour se balader », en les comparant, sans vergogne, à tous ceux qui se sont réveillés sportifs d’un jour, juste pour aller se promener. Je vous applaudis, bénévoles, engagés associatifs, qui luttez pour continuer dans la mêlée, ceux qui parent à l’urgence, ceux qui livrent des repas, ceux qui trouvent des logements, pour les sans-abris, les réfugiés, les isolés, les camés, les paumés. Parce que quand on n’a pas de chez soi, et que l’on doit rester chez soi, c’est une mauvaise blague. Quand on doit, chaque heure, se laver les mains et qu’on n’a pas de salle de bain, c’est une mauvaise blague. Vous tous les assos qui bossez sans relâche pour continuer, maintenir les liens, faire société, et vous tous qui leur donnez un peu de votre argent dans un élan de générosité, de ma fenêtre, je vous applaudis très fort.
Je ne vous applaudis pas, la justice, les juges qui tardent à vider les CRA, lieux de honte, sans pitié, ces prisons pour sans-papier. Mais je vous applaudis les avocats, qui vous battez, commis d’office, pour un peu d’humanité, pour obtenir ce que de droit, ce que de bon sens, fermer ces lieux d’indifférence.
Je vous applaudis les profs, ceux qui se démènent avec un système pas vraiment bien dimensionné. Ceux qui ont abandonné, épuisés, frustrés, ou simplement flemmards, ceux-là, changez de métier, si vous le pouvez. Mais l’immense majorité, tout de même, se démène, comme ils peuvent, pour nos enfants, tous nos enfants. On vous applaudit vous aussi.
Je vous applaudis les pauvres, les familles entassées, à regarder à la télé l’exode des privilégiés, depuis votre barre d’immeuble dans la cité. Vous, votre seule cour de récré, c’était le terre-plein du quartier. Il est fermé. Je ne nous applaudis pas, nous les privilégiés, les réfugiés d’un jour, ceux pour qui confinement a tout d’un air de week-end à la campagne. Je ne vous en veux pas non plus. C’est pas si simple. Parce que moi-même, j’aurais bien aimé regarder la mer, chaque matin de ma fenêtre, j’y ai pensé, j’en ai parlé, j’ai juste pas eu le temps de m’organiser.
Je vous applaudis, les emballeurs et livreurs d’Amazon et assimilés, vous qui ne savez à peine pourquoi vous êtes encore dehors, à quoi vous servez, à livrer des paires de godasses qui ne seront pas portées ou bien les commandes de maillots pour l’été. Mais vous, les vautours de l’économie, les fossoyeurs des petits métiers, les profiteurs, qui vous réjouissez sous cape du regain d’activité, non, je ne vous applaudis pas.
La start-up nation ça fait joli dans les raouts d’entre soi parisiens, pour ceux qui rêvent d’un monde tout-technologisé, où tout serait connecté, mais enfin, on en voit les limites. Le virtuel à l’épreuve du réel. Ceux qui nous sauvent aujourd’hui ne parlent pas business plan, code PHP mondialisé, ils parlent intubation et nombres de lits d’AP-HP. Moins glamour, plus utile.Ceux qui nous sauvent aujourd’hui n’ont pas des baskets flambant neuves au pied, ils ne parlent pas business-plan, licornes, Javascript et PHP mondialisé, en croquant une banane bio importée, arrosée d’un café en grains tout juste torréfiés. Ceux qui nous sauvent, ont une blouse moche et élimée, de vieilles Crocs roses fatiguées au pied, ils parlent intubation et nombre de lits d’AP-HP, en buvant un mauvais café lyophilisé. Quand ils ont le temps. C’est moins glamour, c’est plus utile. Ce que nous avons appris dans nos grandes universités, ces politiques libérales bien formatées, c’est bien pour gérer l’économie de marché, mais apparemment ça bug sérieux pour organiser la société. Système social et de santé, préservation de l’environnement et du vivant, on semble découvrir qu’ils ne peuvent être mis de côté. Alors je n’applaudis pas ce système, ces croyances, ces dogmes jamais revisités.
Ce n’est pas la guerre. La guerre c’est autre chose. L’avez-vous seulement connue pour en parler ?
Je ne vous applaudis pas tous ceux qui adoptent un air martial, à parler de guerre par-ci, par-là, pour se donner des airs de chef d’état. Ce n’est pas la guerre. La guerre c’est autre chose. L’avez-vous seulement connue pour en parler ? Avez-vous entendu nos ainés la raconter, ou bien les réfugiés ? Pensez-vous qu’on puisse ainsi s’arroger, ce mot si lourd de sens et de conséquences, juste pour se mettre en scène ? Honte à vous. Nous ne sommes pas bombardés, nous sommes seulement confinés. Et encore. Ceux qui propagent la peur, la psychose, honte à vous. Nous ne sommes pas bombardés, nous sommes seulement confinés. Et encore. Vous tous qui râlez, qui vous plaignez, bon sang ! relisez Anne Frank, par pitié, pour vous rappeler ce que veut dire confiné en temps de guerre. Si les militaires peuvent aider, tant mieux. On vous applaudit, vous aussi, non pas pour votre mission de guerre, mais pour votre mission sanitaire. De grâce, les gens qui n’ont aucun problème, taisez vos jérémiades, car on ne vous applaudit pas, et on ne publiera pas les fades histoires sans courage de vos journées enfermées.
Alors toi que j’ai croisé hier dans la rue, qui a camouflé ton visage et qui a changé de trottoir pour ne pas me côtoyer, me jetant un regard méfiant, comme si j’étais pestiféré, je ne t’en veux pas. Je ne te connais pas. Tu crois que c’est la guerre, et que les autres sont des ennemis. Mais je ne t’applaudis pas non plus.
Je n’applaudis décidément pas ces métaphores soldates mal mises en scène, qui masquent maladroitement l’impréparation générale. Je n’applaudis pas cette suffisance hautaine, de considérer que ce que les autres nous racontent, n’a pas vraiment valeur chez nous, parce qu’ils sont bridés et qu’on est plus forts, la preuve on les a bien colonisés par le passé. Pour l’instant, nous sommes les plus nuls. Difficile de condamner l‘impréparation, c’est bien facile après coup, nous avons probablement tous été bien légers et incrédules, à ce truc qui se passait au loin. Mais faisons donc œuvre de modestie, d’humilité, reconnaissons nos limites, et sans cacher la vérité. Alors je n’applaudis pas ces responsables de la Santé, qui d’un air péremptoire nous disent avec une certitude inébranlable ce qui marche et ce qui ne marche pas, vous naviguez à vue et cela se voit. Ceux qui disent qu’ils savaient, qu’ils avaient tout prévu et qu’on ne les a pas écouté, parlez. Dites ce qu’on vous a empêché de faire. Dites ce qu’il faudrait faire maintenant, tout de suite, de différent, concrètement. On vous écoute. On vous applaudira aussi, peut-être. Mais pas de grandes paroles ou envolées, des faits, preuves à l’appui.Disparaissez à jamais, ceux qui veulent juste de la publicité. Parlez maintenant, ou bien disparaissez, disparaissez à jamais, ceux qui veulent juste de la publicité. En attendant, j’applaudis ces médecins, épidémiologistes, biologistes, virologues, peu nombreux, qui reconnaissent humblement s’être trompés, qui font l’effort d’expliquer, de chercher, d’expérimenter, sans sortir du nécessaire cadre stricte et réglementé de leur profession et de la connaissance scientifique, factuelle et objective, libres de toute influence politique et de la pression du pharma-big-money.
Je ne vous applaudis pas ceux qui ont cru que ce serait différent ici. Et moi dans ce même panier.
Je ne vous applaudis pas ceux qui ont déserté les commerces tenus par des asiatiques, que vous fréquentiez pourtant auparavant, je ne vous applaudis pas ceux qui s’éloignent de trois pas à la simple vue de yeux bridés. Je n’applaudis pas votre racisme minable, votre ignorance crasse. Je n’applaudis pas les Le Pen et consorts qui essayent d’en profiter pour redorer un blason qui ne brillera jamais. Je ne vous applaudis pas vous et vos idées de temps obscurs et votre haine d’autrui et votre peur de l’étranger. Je vous combattrai, sans relâche.
Je ne vous applaudis pas non plus, ceux qui fustigent « le virus chinois », ceux qui accusent la Chine de tous les maux. De nous tuer à distance. Parce que vous croyez qu’on fait mieux en Europe ? Les plus grandes guerres mondiales, les « crises » de réfugiés provoquées par des politiques va-t-en guerre exportées, ce n’est pas de chez nous ça ? Comptez les morts d’Afghanistan, de Syrie, d’Irak et de Lybie. Je ne parle pas des soldats, mais des civils innocents. La France est le troisième exportateur d’armes au monde, espérons que les bombes que l’on exporte de plein gré, tuent là-bas moins d’innocents que le virus importé ici de mal gré. Et puis on sait en fabriquer nous aussi des virus sympathiques, les vaches folles et grippes aviaires, à force de donner à bouffer aux animaux leur propres os broyés, c’est une invention bien de chez nous ça, cocorico. Je n’applaudis pas les chinois avec leurs soupes de chauves-souris et de pangolins vivants, mais je ne nous applaudis pas pour autant, parce que vous savez quoi, les chauves-souris chauvines de métropole transmettent elles aussi des virus à nos gentils petits cochons, à force de déforestation et de destruction de leur habitat naturel. Et que ça pourrait bien nous arriver aussi ici. Non, tout cela, je ne l’applaudis pas.
On dit que tout va changer. Que rien ne sera comme avant. Comme j’aimerais. Mais je crois préférer la surprise à la déception.
On dit que tout va changer. Que rien ne sera comme avant. Comme j’aimerais. Qu’on va enfin se concentrer sur l’essentiel, l’écologie, la consommation responsable, l’éducation, le lien social. Comme j’aimerais. Mais on a été Nine-Eleven, puis Charlie, puis Bataclan, puis Nice, et puis et puis. Et puis on a dit plus jamais, on va se sourire, se parler, prendre soin les uns des autres, de son voisin, du p’tit vieux d’à côté ou du sans-abri du quartier. Ça n’a pas bien duré. On dit que là, c’est différent, ce n’est pas la même chose, on ne peut pas comparer. J’entends. Je voudrais y croire. Je ne suis malheureusement pas optimiste et j’espère de tout cœur me tromper. Les égoïsmes, les quant-à-soi et les intérêts particuliers ont malheureusement la vie dure. Avec l’été, la grande ruée vers les supermarchés et les plages ensoleillées, tout cela sera bien vite oublié. Pour ceux qui peuvent. Peut-être que non, mais je crois préférer la surprise à la déception.
Alors à vous tous que j’applaudis, qui ne veulent pas qu’on vous dise héros, parce vous faîtes simplement votre boulot, avec courage, abnégation souvent, malgré le manque de moyens que vous décrivez avec tristesse ou colère, parce que c’est sur vos épaules et entre vos mains que reposent en ce moment plus que jamais la vie de ce pays, à vous tous que j’applaudis, j’espère que dès que vous direz que c’est possible, on vous affrétera des dizaines d’autobus à impériale pour vous faire défiler sur les Champs-Élysées, et que nous serons nombreux, plus nombreux encore que lors des ferveurs populaires, les coupes de foot et les 14 juillet, à nous rassembler pour vous fêter. Et vous applaudir encore pour de longues heures. En attendant, je vous applaudis de ma fenêtre.
A vous tous que nous applaudissons, merci. Du fond du cœur, merci.
Texte: Antoine
Dessin: Alix @alikookie
Les deux dessins ci-dessous, ainsi que celui intitulé « la guerre » inséré dans l’article sont de Karim Mahfouf, alias Gyps, alias @papasituations