mon vélo
J’avais antan un beau vélo, jaune et fier comme Artaban. Un jour de pluie en sortant du bistro, lui et moi nous glissâmes en avant. Au fond du fossé je laissais quelques dents et lui, le pauvre, sa roue de devant, sous le choc de la chute, en fut aussi tordue que l’esprit d’un digne membre de notre parlement.
Pour cacher ma laideur nouvelle, un dentier fit l’affaire, mais pour lui point de prothèse, ni dentaire ni mammaire, ne convenait; alors il décidait prudemment, de ne plus sortir désormais, que couvert d’un beau voile coloré.
Bien des années plus tard, une fois que nous étions, tous deux en voyage à la grande capitale du fricotage et du libertinage, alors que je l’avais soigneusement garé le long d’une étroite allée, posé sur une pédale, le guidon droit, mon beau vélo, jaune et fier, et désormais voilé, fut pris à parti par de roses malabars: « ici mon gars, les gens comme toi on n’en veut pas, pas de pédale, pas de voile, dégage ou bien tout ça finira mal ».
Fier comme il était, il ne bougea point et pas plus n’appela. Bien sûr face à la bande de malfrats aux gros bras, il ne fit pas longtemps le poids. Il fut bientôt mis en pièces, laissé là et montré du doigt. Désormais quand ils passent devant, les enfants rient, les vieux acquiescent et les autres répriment un hoquet de mépris.
Voilà mes amis comment on finit, pour une roue voilée qui déplu à l’autrui parisi, cloué au pilori rue de la ferronnerie.