SDF of Paris
SDF of Paris
Lucia et sa fille Monica ont effectivement enfilé leur tenue de soirée. La nuit tombe tôt en hiver, et sur la luxueuse place Vendôme, la récolte semble maigre malgré la présence de la fillette. Son bonnet enfoncé jusqu’aux oreilles, elle ne se plaint pas et joue sagement avec quelques briques de Lego. Faire des photos la fera beaucoup rire. Sa maman la regarde avec tendresse. Et une grande lassitude. Elle a quitté Bucarest avec son mari il y a deux mois pour chercher fortune jusqu’ici. Elle est hébergée en foyer à Saint Denis et prise en charge par une assistante sociale. La petite ne va pas à l’école bien évidemment. Lucia est lasse et seul son regard vide répond à mes questions: « pourquoi avoir quitté votre pays pour une vie dans la rue ici ? Il n’y a pas de travail en Roumanie, oui, mais il n’y en pas non plus ici. Et dans un mois il faudra quitter le foyer, la fillette elle va faire quoi ? ». « Et puis il ne faut pas prendre votre fille avec vous dans la rue, il faut la laisser au foyer, et puis même rester avec elle. », mes remontrances ne lui inspireront qu’un haussement de sourcils. Paris, Paris, quel mirage leur offres-tu ? Les ors de ton opéra et les brillants des vitrines de ta place Vendôme, leurs promesses de tenues et de soirées qui valent plus que le salaire de toute une vie, pauvre Lucie. En attendant, reste bien au chaud dans ta tenue de soirée, Lucie, toi et ta petite fille, et bonne chance et bonne nuit.
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13 novembre 2016 – Paris, Place Vendôme
Voici Anny. Anny Roumany. Annie de Roumanie. Devant sa vitrine de Montparnasse, elle fait la doublure des mannequins de plastique pour quelques pièces. Elle est grand-mère et coquette, Annie. Ses enfants éparpillés, en Roumanie ou ailleurs, plus trop de nouvelles. De toute façon, elle ne voudrait pas qu’ils sachent. Il fait froid la nuit à Montparnasse, Annie aurait aimé ce gros pull blanc en laine dans la vitrine. Mais au vestiaire du 115, ils n’avaient qu’une polaire mauve pour elle. Pas trop fashion. Une prochaine fois, ce n’est pas grave. Annie a tant de douceur dans les yeux qu’on voudrait qu’elle retrouve très vite la douceur d’un foyer.
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6 mai 2016 – Paris, rue de Rennes
Salah passait déjà la nuit debout, place de la République, bien avant NuitDebout. Ce qu’il en pense ? «Ben on peut manger gratuit, ils nous donnent plein de choses, mais sinon franchement ça nous arrange pas trop. Ça fait trop de monde pour dormir, et ça ramène trop de flics. On n’aime pas trop les flics, nous, et ils nous aiment pas non plus». La France pour Salah c’est plutôt Nuit Dehors et désillusion. Dans sa petite ville d’El Jadida, au Maroc, Salah ne vivait pas trop mal. Enfin pas dehors au moins. Il se débrouillait quoi. Mais ici, walou. Pas de boulot, pas de logement, pas un rond. Désillusion. Ça fait six mois que Salah est place de la République et on a envie de lui dire que ça semblait évident, non ? La désillusion. Mais on ne lui dit pas, on acquiesce simplement quand il affirme vouloir retourner au Maroc bientôt, parce qu’ici il n’y a rien pour lui. Sinon Salah joue de la guitare et il m’aurait bien fait un morceau, pour rigoler. Mais il a pas de guitare ici. Désillusion.
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2 mai 2016 – Paris, Place de la République
Y’en a qui ramassent tout, qui s’en mettent plein les poches et puis qui le planquent à l’abri. Est-ce que c’est dégueulasse ? Je sais pas. Ça a toujours existé, non ? C’est juste qu’à présent ils sauront qu’on saura. Moi, je ramasse tout ce que je peux dans mon gobelet et je le glisse dans ma poche. Puis je me planque à l’abri aussi, hein ! T’as pas une clope pour moi ?
Gigi est Roumain, à la rue dans Paris depuis quatre ans. Si on lui rafistolait ses dents de travers, on pourrait l’appeler Gigi gueule d’amour.
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11 avril 2016 – Paris, Porte de Versailles
Moi c’est Sylvain, mais faut m’apppeler Caly, mon nom « de rue », ça sonne espagnol et c’est plus glamour. Je fais la manche à Montparnasse en jouant de l’harmonica. Quand tu m’as glissé une pièce dans mon chapeau, j’ai voulu t’offrir ma rose, mais tu m’as dit de la garder pour une jolie fille. Ah ca! je suis un vrai titi parisien, je suis né dans une caravane à Aubervilliers, accouché par un vétérinaire. Ma jeunesse ? Volée. Vingt ans de tôle. Quinze ans à la rue. Oh, je m’en sors, faut pas croire, je suis compagnon d’Emmaüs à mes heures.
Quand je ramasse plus de 37 euros dans la journée, je suis content, je passe la nuit à l’hôtel et je peux me doucher. Mais c’est pas tous les jours, hein!
Lui c’est mon pote, le Duc. Un vrai espagnol lui. Oui, celui-là, le gaillard avec la barbe noire et les yeux qui roulent. Faut lui parler doucement au Duc, sinon il se fâche.
6 avril 2016 – Paris, Gare Montparnasse