Wùlu
Comme l’un de ces bovins du Sahel, à la bosse proéminente et aux grandes cornes, qui cheminerait lentement dans le désert, le long d’un sentier inhabituellement planté d’herbe grasse et luxuriante, dont on sait qu’il conduit vers l’abattoir, tant d’autres auparavant ont payé de leur sang d’avoir suivi ce chemin sans retour, Ladji délaisse les petits boulots d’apprentis de Sotrama, les taxis collectifs verts de Bamako, pour se lancer dans les affaires. Celles qui rapportent gros et vite, mais ne sont pas sans risque. Celles dont on sait qu’elles conduisent vers l’abattoir, un jour ou l’autre, tant d’autres auparavant ont payé de leur sang d’avoir suivi ce chemin sans retour. Ladji transporte de la drogue depuis Conakry ou Dakar jusque dans le désert malien, afin que d’autres passeurs puissent prendre le relai vers l’Europe. Son nom le prédestinait à devenir pèlerin. Il est pèlerin des routes écrasées de chaleur, où l’on est accueilli à l’arrivée soit par un sac rempli d’argent, soit par les balles des fusils mitrailleurs, et dans tous les cas par ces instants de brigandage, qui le rapprochent chaque fois de sa fin certaine. Pour de l’argent facile plus rien ne compte, ni les risques, ni la vie de ses frères, ni, au bout du compte, sa propre vie. Au cœur de la vibrante capitale malienne, se joue un film que l’on connaît trop bien, un circuit bien rodé, depuis l’Amérique du Sud, jusqu’en Europe, par la côte Ouest Africaine, les routes puis les pistes jusqu’au Sahel, le passage par le Maghreb et les bateaux rapides vers l’Espagne. Ladji n’est qu’un maillon d’une chaîne dont les puissants et leurs sous-fifres tirent profit sans grand risque. Tout circule sans barrière dans ce coin, armes, drogues, migrants, argent, produits de contrebande. Le plus offrant gagne. Les ouvriers périssent.
Daouda Coulibaly signe un film fort, inspirée notamment des affaires « Air Cocaïne » , du nom donné à un Boeing hors d’âge qui avait atterri depuis la Colombie en plein désert bourré de poudre blanche, dont les restes calcinés n’ont pu livrer encore tous leurs secrets, à moins que ceux-ci soient trop bien gardés par quelques puissants, qui n’auraient aucun intérêt à les révéler. « Une histoire incroyable que même le scénariste le plus doué n’aurait pas pu inventer et qui permet de mesurer l’ampleur du trafic de cocaïne en Afrique », selon le réalisateur.
Wùlu – une film de Daouda Coulibaly – 2016