nutellagate
A y regarder de plus près, les émeutes nutella dans les supermarchés ces derniers jours en disent sans doute beaucoup plus long sur ce qui se passe en France qu’il n’y paraît. On pourrait même crier au nutellagate et demander la démission du premier ministre.
A première vue il y a d’abord le nutella, controversé, houspillé, rabroué, décrié, mais tellement bon, qu’on en mange quand même. Aucun concurrent ne lui arrive à la cheville. D’accord, c’est bourré de saloperies et d’additifs revenez-y, mais demandez aux enfants (et aux grands enfants aussi), y’a pas photo, y’a pas meilleur, miam, miam. Il déforeste en grand, laisse les singes sans maison, il a moins de cacao et de noisettes que ce qu’il faudrait pour remplir le couvercle. Le nutella c’est du sucre, beaucoup beaucoup et de l’huile de palme, beaucoup aussi. D’ailleurs, il y a plus d’huile de palme dans le nutella que dans l’huile de palme, c’est bien connu. C’est aussi 1,7 milliards d’euros de gros sous par an, avec des marges confortables pour son fabricant italien, première fortune du pays. Les allemands en raffolent, juste derrière, cocorico, y’a les français. Il y a même des parents qui voulaient appeler leur fille Nutella, mais le juge a dû leur faire entendre raison. Ségolène Royal, quand elle était ministre, a bien essayé d’appeler au boycott de la marque, elle a dû rétropédaler vite fait devant l’incident diplomatique créé avec l’Italie. Bref.
A l’occasion donc de la méga-promo nutella de la semaine, on peut entendre ici ou là, les commentaires des uns et des autres dire qu’il faut être fou ou tombé bien bas pour aller casser la gueule à son voisin au supermarché pour un pot de nutella.
Tombé bien bas est le mot, même peut-être jamais tombé, mais toujours resté, en bas. De l’échelle. L’échelle sociale. Si pour une grand partie des français, un pot de nutella sur la table du gouter n’est pas un luxe, pour disons, environ dix millions d’entre eux, ça l’est. A qui n’a jamais entendu ses gamins dire que le chocoletta premier prix, acheté au supermarché discount en bas du rayon de la grande surface d’une lointaine banlieue, c’est dégeulasse et que eux ils veulent du nutella, comme tout le monde : vous faites partie des privilégiés. Oui, le nutella c’est un peu le syndrome riches contre pauvres. Les très riches eux, en priveront leurs enfants, nourris aux pousses de soja bio élevé en plein air avec du Mozart dans les oreilles et vendu au prix du caviar dans l’épicerie bio-éthique-etc. du coin, ironiquement appelée « au bon marché du faubourg ». Il y a aussi ceux qui feront taire les cris d’orfraies avec une pâte à tartiner au nom italiennisant, garantie sans huile de palme et avec du vrai chocolat. A 10€ les 100 grammes, mais que ne ferait-on pour les chères têtes blondes, et surtout pour les faire taire. Mais pour le reste, il y a ceux qui peuvent acheter du nutella à leurs gosses et ceux qui ne peuvent pas.
A ce point ? Oui.
1,000€ par mois, c’est le seuil de pauvreté en France. 9 millions de personnes, c’est le nombre de Français en dessous du seuil de pauvreté. 4,7€ c’est le prix d’un pot de nutella. Femme seule, au RSA parce qu’il n’y a plus de boulot justement dans la superette du coin, qui élève deux enfants, vous pensez que c’est quoi son budget alimentation par mois ? Dites un chiffre ?
Moins de 200€. Pour soi, deux gamins et tout un mois. Alors avec ce budget, un pot de nutella, c’est un produit de grand luxe, le genre de truc qu’on met sur la table de Noël. Avec ce budget, chaque euro compte quand on fait ses courses. Promo -70%, c’est 3,30€ d’économie sur le pot de nutella, c’est enfin le luxe à portée de bourse, c’est faire plaisir à ses gamins pour une semaine entière, ne plus pousser sa misère dans son caddie le samedi, se payer une marque, avoir le sentiment de n’être justement pas au tout dernier du dernier échelon de l’échelle.
Qui ne serait pas prêt à se battre pour un peu d’estime de soi retrouvée ? Et si la bouteille de château Margaux grand cru était à 14€ au lieu de 47€ au Monop’ du coin en quantités limitées, est-ce qu’on n’y verrait pas des émeutes de costards-cravates le soir à la sortie des bureaux parisiens ?
Plutôt que de rire du pauvre, qui bouffe de la merde en se ruinant, et qui est prêt à se battre pour 3€ d’économies, pleurons. Avant, les pauvres étaient maigres comme des clous et les riches gras comme des loukoums. Aujourd’hui les pauvres sont gras comme des chicken-wings et les riches maigres comme des pousses de soja. Tout va bien. La grande distribution et l’industrie agro-alimentaire, soutenus sans faille par la classe politique, font bouffer de la merde aux pauvres, mais c’est bon, on lutte contre la vie chère…hein Michel ?