Le client
Il s’agit d’un malentendu. Le couple, la femme, l’homme. Un malentendu qui s’étire. Peut-être à l’image de l’Iran, ce malentendu entre un peuple et son pays. Le client n’est à aucun moment un film sur l’Iran. L’Iran est en toile de fond, comme le décor de cette pièce de théâtre que l’on joue malgré tout, malgré la censure qui donne à sa mise en scène un air surréaliste, où l’on joue la nudité tout habillé et on finit par en rire.
L’Iran est un immense malentendu, et l’intimité y est paradoxale. Parce que la distance que l’on impose entre les hommes et les femmes a fait oublier comment dire les plus beaux poèmes d’amour persans, alors les mots d’amour ne s’entendent plus que dans les chansons que l’on écoute en souriant dans l’intimité de sa maison. Et les corps ne peuvent se rencontrer, se toucher et se dénuder que dans l’intimité, presque cachés, et pourtant tout se sait, aucune relation amoureuse naissante ou finissante n’échappera aux racontars des voisins.
Dans cet univers paradoxal, ici comme ailleurs, il arrive que des femmes vendent du plaisir aux hommes. Le malentendu éclate lorsque un client, faute de trouver son habituelle, se laisse aller à élan de violence incontrôlée. Le malentendu se déplace alors fortuitement vers un homme et une femme, dont le seul malheur est d’avoir été mêlé malgré eux à cette sordide histoire, couple au jeu sidérant, tout à l’intérieur d’eux-mêmes, pourtant si proches et complices, qui glissent lentement loin l’un de l’autre, parce que elle ne sait pas comprendre l’humiliation, le désir de savoir, l’autre homme caché à l’intérieur de l’homme, parce qu’il ne sait pas l’écouter, la faire parler, la rassurer, la comprendre, la porter à travers son tourment. Unis dans les épreuves, dans la vie, malgré leur complicité, malgré la grande confiance mutuelle et l’amour évident, le malentendu s’installe, et leur quête intime et personnelle, chacune si différente après le drame, les désuni inexorablement.
Asghar Farhadi nous offre avec Le client des scènes magnifiques, jeux de reflets et de miroirs, les portes qui s’ouvrent ou se ferment sur les sentiments, une cage d’escalier comme prélude à toute action, et les échafaudages d’un décor de théâtre comme une vie en perpétuelle construction. Un film d’une grande finesse.
Le client – un film d’Asghar Farhadi – Iran (2016)