J’ai mal à mon Mali
J‘ai mal à mon Mali. Je ne reconnais plus mon pays de cœur. Ce pays que j’ai appris à aimer, que j’ai sillonné d’Est en Ouest, au grès des caravanes, des tours cyclistes, des cinémas ambulants. Ces villages de cases et ces paysages grandioses, le Djoliba et la mosquée de Djenné. Mes virées en pirogue, mes marches sur les falaises de Bandiagara, ces nuées d’enfants à ma suite, mi-effrayés mi-amusés, avides de toucher les cheveux lisses de mes filles. Amis maliens, que se passe-t-il ?
J’ai mal à mon Mali, car j’ai rarement été accueilli dans un pays, comme je l’ai été par le peuple malien, avec autant de bienveillance et de gentillesse et d’échanges désintéressés, malgré le plus grand dénuement des villageois rencontrés dans la brousse. Cette brousse si attachante, faite de courte savane et de terre rouge, faite surtout de peuples aux origines diverses, qui agriculteurs, chasseurs, éleveurs, artisans, ont érigé le vivre ensemble en tradition séculaire, instaurant les cousinages entre dogons, bozos, peuls, bambaras, soninkés et les autres, pour conserver une harmonie toujours fragile entre les hommes.
Voici que ce pays se déchire de l’intérieur, cela ne lui ressemble pas, ce n’est pas mon Mali. Que nous Européens, et Français en particulier, regardions l’histoire en face. La chute provoquée de la Libye, ressemblant plus à la vengeance personnelle d’un chef d’état occidental imbu de pouvoir, n’a apporté que chaos, violence, mort et destruction dans toute la région. Et à mon pauvre Mali aussi. Cela aura commencé par la circulation effrayante des armes de guerre dans tout le Sahel. Une kalach’ pour le prix d’une poule. La constitution de groupes salafistes, savamment repoussés hors de ses frontières par l’état Algérien dont on connais les travers, se désintéressant avec ostentation du sort de ses voisins sahéliens. Le recrutement, ou plutôt l’enrôlement de tribus Touaregs, qui trouvent là l’occasion rêvée, pensent-ils, d’obtenir plus d’indépendance. La progression souterraine puis au grand jour d’un espèce d’état terroriste, certes stoppé par l’intervention militaire française – c’était la moindre des choses, peut-on penser, au regard de l’histoire – et il faut rendre hommage aux soldats tombés sur cette terre rouge, à laquelle le rouge de leur sang versé s’est désormais mêlé.
Mais las, mes amis maliens, vous ne pouvez plus compter que sur vous même. Vous êtes seuls désormais, et il vous faut l’accepter pour combattre ce mal intérieur qui ronge votre pays. La pauvreté est le terreau de tous les maux. Elle rend attirante les promesses des uns, proposant un paradis fantaisiste et un sac de riz en échange de balles tirées contre des soldats à peine armés et entrainés, et les idées de vengeance des autres, liquidant des villages entiers, femmes, enfants, réveillant sans doute de veilles querelles de minarets dont on a oublié l’origine. Les éleveurs contre les agriculteurs. Mais ce n’est pas le Mali, ça ! Ça ne l’a jamais été ! Ces « conflits ethniques » sont fabriqués, prévus, instrumentalisés ! On dit que les salafistes ont bien compris qu’on pouvait dresser les uns contre les autres. Ils arment les éleveurs peuls. L’état malien, avec l’approbation de ses alliés, autorise et arme des « milices d’autodéfense », des villages bambaras et dogons pour lutter contre la menace terroriste, incapable qu’il est de le faire par lui-même. Mais c’est évident, non ? Armer lourdement des civils, leur donner l’autorisation de tuer, mais qui croit une seconde que ça ne finira pas en bain de sang ?
J‘ai arpenté ce magnifique pays Dogon, descendu et remonté sa falaise sous le cuisant soleil des tropiques. Quel peuple est aussi pacifique que celui-ci ? Cultivant ses maigres champs d’oignons, tout occupé à ses rites de salutations, qui obligent à remonter à la mémoire de ses plus lointains ancêtres, tellement longs que les villageois, quand ils se croisent, poursuivent leur chemin tout en continuant à évoquer la santé de l’âme du grand Hogon, leur voix mourant peu à peu au fur et à mesure qu’ils s’éloignent. Ils vivent ainsi, à l’écart du monde et de ses turbulences, chichement mais fièrement, gardant jalousement le secret à peine percé de leurs croyances millénaires. Quoi ? Ce peuple qui n’a jamais revendiqué d’autre terre ou biens que ceux de la falaise, se serait tout à coup mué en un peuple sanguinaire avide de vengeance sur ses cousins peuls ?
Je ne peux y croire, mes amis. c’est un cauchemar. Je vous en supplie, arrêtez-le tant qu’il est encore temps. N’attendez rien de l’extérieur. Et comme il est fort justement dit ici, « qu’on ne nous tympanise pas avec le flot des condamnations de principe ». Mes plus vives pensées sont avec vous.
Le 23 mars une tuerie au Mali décime un village entier habités par des Peuls. Des milices civiles sont à l’origine de plus de 130 morts, hommes, femmes, enfants.
Un éditorialiste guinéen, neutre sur les questions ethniques maliennes, s’exprime dans l’article ci-dessous: https://www.courrierinternational.com/article/vu-de-guinee-massacre-de-peuls-au-mali-le-risque-dun-nettoyage-ethnique