Exarcheia
Exarcheia, l’Orange Amère
Exarcheia, le quartier le plus vivant et original d’Athènes, lieu de vie des artistes, poètes, écrivains, des intellectuels, des militants politiques et activistes révolutionnaires, mais aussi des junckies et des rejetés de la société de consommation. Epicentre du soulèvement contre la dictature des Colonels dans les années 1970, Exarcheia est resté depuis le lieu vivant de la contestation, de la solidarité et de la création sous toutes ses formes.
Toute l’histoire et la vie d’Exarcheia se lit en dessins sur ses murs. Pas un centimètre carré de façade n’est couvert d’un graffiti, d’inspiration artistique ou militante, toujours lié aux racines et à la vie des gens de ce quartier. Comme par mimétisme, Dimitrios Mastoros, jeune dessinateur formé aux beaux-arts à Bruxelles, brosse un portrait tout en image du quartier dans son roman graphique Exarcheia, l’Orange Amère , co-écrit avec Nicolas Wouters.
L’histoire s’ouvre sur l’arrivée à Athènes de Nikos, jeune grec vivant à l’étranger, la barbe et le cheveu hirsute, dont on ne peut s’empêcher de faire le rapprochement avec l’auteur. On fait avec lui un tour du quartier et on retrouve ses amis d’enfance sur le petit parking transformé en parc autogéré, symbole vivant de l’atmosphère de ce quartier. Le petit parc est entretenu et nettoyé chaque jour par des voisins volontaires.
Lire Exarcheia, c’est se laisser porter, comme Nikos, par la vie quotidienne du quartier et renoncer à son séjour dans les îles à Paros et aux touristes anglaises, parce qu’Exarcheia vous aspire. Exarcheia, L’Orange Amère ce sont plusieurs histoires en une, des histoires dont les parallèles imparfaites se croisent et se recroisent, celle du café, de l’oncle, des réfugiés, celle du junkie ou celle d’Anastasia. Exarcheia, c’est l’histoire de ce brave chien à roulettes, fil conducteur du roman, tour à tour mascotte, emblème, défenseur, protégé, puis victime.
On vagabonde dans Exarcheia comme dans les ruelles sales du quartier, au grès de planches qui laissent la part belle au dessin, le ton volontairement monochrome mettant en lumière des visages singuliers et de larges plans sur la ville. Souvent une page entière sans texte apparaît, comme une simple suite d’instantanés de la vie de ce quartier surprenant et unique, des tranches du quotidien décrit avec tendresse de quelques-uns de ses habitants emblématiques.
On ne ressort pas indemne d’Exarcheia, le quartier imprime sa marque originale sur les visiteurs qui prennent la peine de l’écouter, une sensation que l’on ressent en tournant la dernière page de ce bel ouvrage.
Exarcheia, L’Orange Amère – Un récit de Dimitrios Mastoros et Nicolas Wouters. Dessins de Dimitrios Mastoros. Edition Futuropolis.
Exarchiea, l’Orange Amère sur Fnac.com
Cinq questions à Dimitrios Mastoros, co-auteur et dessinateur d’Exarcheia, L’Orange Amère
1-Quelle est la signification de ce mystérieux proverbe grec que tu cites en épigraphe et pourquoi introduit-t-il ton œuvre ?
C’est toujours assez jouissif, les proverbes grecs traduits en français. Ils sont très singuliers, imagés. Le sens varie, mais pour nous (Nico et moi) je dirais que ça veut dire: maintenant que l’opportunité est là, on n’a plus les moyens. Que les bonnes intentions ne suffisent pas.
2-Exarcheia est ta première publication, elle t’a occupée trois années durant, pourquoi avoir choisi ce sujet, quelle importance l’histoire de ce quartier revêt-elle à tes yeux ?
L’envie de parler de la Grèce d’abord, en français et pour un public étranger. Exarcheia était la suite logique, étant un sujet très proches, très particulier, bariolé et dérangeant. Sans doute aussi la frustration de voir ou d’entendre des platitudes sur le quartier, des clichés… Je voulais montrer une vision intime, quotidienne d’un endroit en ébullition, et le croiser avec des souvenirs d’enfance. Exarcheia donne en plus la possibilité de montrer toute la richesse de son décor: les rues pourries mais sublimes par leurs tags, leur ambiance, la faune grotesque et bruyante, la violence, la fête… Tout pouvait être raconté dans ce microcosme.
3-Le chien à roulettes a-t-il vraiment existé ? Que représente-t-il pour toi ?
Il a existé oui, il est inspiré de plusieurs chiens-symboles de résistance au fil du temps. Il y avait un chien qui accompagnait les anarchistes au manifs’, et s’opposait aux uniformes, c’était une star. Vers la fin de sa vie il a été paralysé des pattes arrières. Le chien qui l’a suivi est le plus connu, une vraie star, Loukanikos. Quand il est mort à son tour l’année dernière (de vieillesse) il y a eu des hommages dans toute l’Europe, des fresques à son effigie, à Madrid un bar porte son nom!
Nous avions envie d’en faire une présence quasi-surnaturelle, qui apparait soudainement, qui unit tous les bastions du quartier malgré elle. Pour moi… c’est l’âme d’Exarcheia. D’autres pourront y voir une métaphore du pays, de la condition du grec moderne, ce que vous voulez. C’est un être meurtri, chevronné qui roule sa bosse. Qui continue à avancer.
4-Tu utilises le brou de noix, qui donne un ton particulier et monochrome à tes dessins, pourquoi avoir choisi cette technique et cette couleur pour parler d’Exarcheia ?
Par manque d’expérience dans la couleur d’abord, puis l’envie d’une ambiance sombre, chaude et sale qui s’apparente aux rues Athéniennes. La technique s’est ensuite liée au propos, et tout ce livre a été un long cheminement vers la maitrise de cette technique pour servir l’histoire. Dessiner plus vite, utiliser moins d’eau, ne pas tricher avec la lumière et retranscrire le soleil écrasant sur le bitume, le tout en noir et blanc.
5-Quel est ton regard sur la Grèce d’aujourd’hui, sur sa société qui, dit-on, traverse une crise sans précédent ?
Il y a deux visions. Les échos qui me parviennent ici à l’étranger, puis ce que je vois quand j’y retourne tous les 4-5 mois. Un peu comme dans cette BD, il y a deux temps: ce que tu vois à Exarcheia puis ce que tu apprends en y baignant. Je vois une lassitude, une décrépitude, et en même temps une créativité. Les gens ne se leurrent plus, ils ne combattent plus un mirage comme au début de cette crise. Il n’y a plus de place pour une tiédeur, on choisit son camp. Que ce soit contre le gouvernement, contre l’UE, contre la loi… Il y a eu de grands bouleversements, qui ont apporté une émancipation mais aussi une désillusion, comme le référendum. Maintenant il y a un battement, on continue les mesures absurdes, du coup reste à voir si les gens le supporteront dans le long terme.
A Exarcheia
J’ai posé mon sac à Exarcheia, dans la rue Tzevalla, en haut de cet immeuble sans charme particulier, mais dont le large balcon qui donne sur la colline du Lycabette est un enchantement dans la douceur du soir.
La façade est évidemment couverte de graffitis. On pénètre dans la cage d’escalier propre mais vieillotte, le bouton d’ascenseur dans lequel le doigt s’enfonce jusqu’à la première phalange engage à prendre l’escalier, et tant pis si c’est au 4e étage. Des bruits de télévision et de conversations transpirent à travers les portes closes sur chaque palier. Je suis accueilli par Christaki, qui se fait appeler Jack parce qu’il dit que c’est plus facile pour les étrangers, jeune barbu aux cheveux sombres, qu’il ramène derrière son oreille percée d’un anneau discret. Il me présente avec gentillesse et modestie son appartement entièrement meublé d’objets de récup’, parfaitement dans le style du quartier, qui sera mon point d’attache à Exarcheia. Les rumeurs de la rue, des groupes de gens qui parlent fort et qui rient, me parviennent à travers toutes les fenêtres de l’appartement.
A Exarcheia, la vie est dans la rue, le soir plus qu’à toute autre heure de la journée, des dizaines de petits bars, certains plus ou moins improvisés, d’autres bien établis, accueillent la jeunesse tranquille et joyeuse d’Athènes, mais aussi les bandes barbues et habillées de noir, percées et tatouées, qui devisent dans la nuit, des bouteilles de bière vides à leurs pieds.
A Exarcheia, la journée commence tout doucement vers midi, rien ne semble pressé ici, les petits ateliers mécaniques, dans lesquelles on s’affaire déjà, côtoient les tavernes et leurs terrasses envahissant la rue qui ouvrent à peine. On sort de chez soi en s’interpellant d’un « yassou » joyeux. Les librairies sont légions, un peu en sous-sol, comme en prélude à la littérature underground dont elles regorgent. Les fresques murales sont belles et rebelles.
A 13h, n’y tenant plus, je m’attable dans une ruelle où les hôtes sont encore rares, c’est toujours l’heure des livraisons des bouteilles de bière et de coca. La féta, le fromage de chèvre de Mytilène et la kolokithopita (celle avec les courgettes, pas la spanakopita avec les épinards) sont un régal. Des « daxi !», « pame ! » fusent çà et là, un monsieur passe, ses cheveux gris un peu dégarnis bouclent en longueur dans son cou, sa barbe est fournie, il fait aller et venir son komboloï bruyamment dans sa main d’un geste machinal. Une jeune femme le croise, jeans fashion, un bouquet de fleur dans une main et un grand mug isotherme de latte dans l’autre. Et des grands mecs en short, cheveux noirs gominés, s’interpellent à coup de « malaka ! ».
Au pied de la colline de Strefi, rue Kalidroumiou, s’étend le splendide marché où l’on se bouscule pour des grappes de raisins et des montagnes de légumes, de pastèques et de gros melons. Les poissons à l’œil brillant observent sans ciller la foule qui déambule, et au loin la rue qui remonte en pente vers la colline du Lycabette. On est en septembre, mais Athènes est encore écrasée de chaleur, il faut aller doucement pour monter sur la colline, où un grand calme règne en comparaison de la rue agitée du marché, où l’on ne croise que de maigres chats noirs, des tortues centenaires, et quelques sans-abri inoffensifs qui y ont élu domicile. Ici les rues se terminent par des escaliers.
On dit qu’à Exarcheia, les mini-markets indépendants donnent à manger à ceux qui en ont besoin, que les pharmacies distribuent gratuitement aux malades les médicaments qu’ils ne peuvent s’acheter, que les voisins s’entraident. A Exarcheia de nombreux musiciens trainent avec leur guitare ou leur contrebasse dans leurs housses noires. Des pick-up tournent le matin de bonne heure en criant dans des haut-parleurs grésillants une réclame ou un slogan que je ne cherche pas à comprendre.
A Exarcheia, la police ne rentre pas, seul un car et quelques vigiles en faction stationnent en permanence au coin de la rue Charilaou Trikoupi. Pour surveiller quoi, pour surveiller qui ? Le quartier-général du parti politique local ? On dit que la police ne rentre jamais, mais que parfois elle boucle le quartier et l’inonde de lacrymos pour quelques jeunes qui mettent le feu aux poubelles.
A Exarcheia, au coin d’une rue, s’improvise une friperie ou bien une vente de miel artisanal. Ni dieu, ni argent, ne cherchez pas, il n’y a pas de banque ni d’église à Exarcheia.
In Exarcheia…
The most vivid area of Athens, home of artists, intellectuals, political activists, and also junckies and « leftovers » of consumerism.
In Exarcheia the Old Man pours more cinnamon into his frappé and sips it loudly with a straw, before he goes loitering through the small streets, smoking a pipe in the gently awakening morning.
In Exarcheia the most difficult thing is to select which of the stunning mural painting you will share on your insta gallery. Exarcheia is an open living graphic book, every single inch of wall is covered with artistic or militant graffitis, relating to the story and special roots of the area.
In Exarcheia, on Sunday morning, actors are painting themselves the decor for their next Shakespeare play in front of their tiny theater, delighting the passers-by with what is indeed already a piece of their theatre play, and being the perfect living embodiment of what streetart is all about.
In Exarcheia you will find plenty of small underground bookstores, music shops, cafés and coffee shops, some drugstores and mini-markets delivering for free for those in need. This tiny alley keeps a library-café out of sight of the tourists and busy people, it’s a quiet heaven of peace and culture. Oh, and do not even look for a bank office in Exarcheia, there are none.